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7 novembre 2011 1 07 /11 /novembre /2011 11:27

La guerre d’Algérie cessant, la France se consacre avec bonheur à son propre développement agricole et industriel. La croissance économique est soutenue. Pour satisfaire le besoin de main d’œuvre, on fait appel, d’abord au ruraux français, puis à la main d’œuvre européenne, enfin à la main d’œuvre maghrébine, essentiellement algérienne. Il existait déjà sur notre sol, au moment de l’Indépendance, une colonie d’immigrés :

   Ceux qui avaient fui les règlements de compte algériens (les Harkis). Le mode de vie traditionaliste et l’analphabétisme des "primo-arrivants", traumatisés, les firent se regrouper dans des camps,

   Ils ne purent s’insérer,

   Ils se sentirent rejetés par leurs coreligionnaires déjà en place - ceux qui n’avaient pas trahi la Rébellion - et non acceptés par les métropolitains à cause de leur handicap psychologique.

   Ceux qui travaillaient déjà précédemment (et ceux, aussi, qui alimentaient les finances de la Rébellion algérienne).

 

Par l’ordonnance du 21.07.62, tous les Maghrébins résidant en France avaient la possibilité de prendre la nationalité française qui, en France, leur accordait la citoyenneté de fait, c’est à dire qu’ils acceptaient les loi du 14 Juillet 1865 et suivantes.

 

Peu d’Algériens sollicitèrent la nationalité : beaucoup d’entre eux ne pouvaient imaginer que leurs fils puissent saluer le drapeau qu’ils venaient de brûler et qu’ils abhorraient.

 

Ils conservaient, néanmoins, la libre circulation entre les deux pays.

Si peu de nouveaux métropolitains, si beaucoup d’Algériens retournèrent chez eux, nombre d’entre eux reprirent le chemin du nord après une expérience algérienne peu concluante.

 

L’Algérie devenue indépendante, avait expulsé tous ceux qui avaient fait l’essor du pays. Elle se retrouvait avec une économie exsangue.

La France, pays laïque, tolérait la pratique de l’Islam dans la mesure où celle-ci ne perturbait pas l’économie de l’entreprise.

L’industrie fonctionnait selon le modèle du taylorisme, ce qui économisait une formation professionnelle qualifiante.

 

L’Algérie ne découragea pas l’exode. Celle-ci alimentait l’économie algérienne de plus d’un milliard de francs par an dans les années soixante (près de 4 milliards de francs d’aujourd’hui). Au cours de change clandestin, le Franc prenait une plus value de 300% sur le cours officiel. Il était tentant de s’expatrier momentanément. Comme le dit Ahcène Zaharoui

« Le retour est le fondement même du projet de départ. Pour lui même et sa communauté d’origine, l’exil n’a de signification que si elle permet le retour »

 

Un Berbère doit avoir une raison impérative pour quitter son village. L’économie en est une. Pourtant l’exil est très mal vécu au départ :

*  il part seul, pendant plusieurs mois, loin des siens, dans le pays de l’Infidèle,

 

*  il part dans un pays dont il a combattu, par les armes, les habitants,

 

*  il a peur de rencontrer un de ses anciens ennemis, d’être reconnu.

Lui se rappelle des exactions commises pendant la guerre de Libération, ainsi que de la période post-libération où beaucoup de ses coreligionnaires ont fui, leur village individuellement pour trahison envers les leurs.

La communauté du village désigne celui qui a le plus d’aptitudes pour relever le défi, il n’est pas mince. Il doit, par son travail à l’étranger :

     contribuer au remboursement des dettes de la tribu,

     rehausser son statut social par la possibilité d’acheter un troupeau d’ovins, une paire de bœufs, ou un commerce mais surtout posséder une voiture qui est la marque extérieure de richesse, de respectabilité, de modèle à suivre par les autres membres de la tribu, qui est la consécration.

 

Pour celui qui est désigné pour l’exil, tout le village procède à la veillée, à la préparation cérémonielle du départ.

 

Pendant son absence, la part de l’émigré est décomptée comme s’il était toujours présent. Sa famille lui préserve toujours son dû - surtout la viande. Cette part est réservée aux hôtes de passage, nécessiteux ou religieux, c’est la part d’Allah !

A chaque prière, la famille communie à distance avec l’absent dont on souhaite le retour. La mère, la sœur ne manquent pas de confectionner des gâteaux, de la viande séchée et salée qu’elles expédient à l’absent. Cette « odeur du pays » est un moyen de lui rappeler les siens et sa tribu qui l’attendent. Le Djema’a (sorcier local) procède à des « appels » solennels et effectue des simulacres de retour de l’exilé. Ces différents actes magiques ont pour but d’accélérer le retour définitif au Village.

 

En France, l’expatrier va vivre chichement. Le logement, étant provisoire, sera le moins cher possible. Il travaille dur, thésaurise énormément. Le regard de l’Infidèle lui importe peu, s’il travaille chez l’ex.- Roumi, il ne vit pas chez lui.

 

La France, en 1969, va lui imposer une carte de séjour. Ne voulant pas prendre le risque, au retour de vacances, d’être refoulé ou d’être interdit d’émigration par son pays d’origine, l’exilé se voit contraint de rester en France. Il en résulte alors une coupure avec sa communauté d’origine, sa famille.

 

Jusqu’en 1974, la majorité retournera dans son pays, dans son village, la tête haute, le portefeuille plein.

 

En 1974, les allers-retours entre la France et l’Algérie sont suspendus. Pour entrer en France, il faut un contrat de travail. Ce qui oblige l’allochtone à posséder deux titres : une carte de travail et une carte de séjour.

 

Le 1er Juillet 1975, devant les problèmes humains et psychologiques supportés par les allochtones, la France accorde le regroupement familial dans la mesure où l’émigré respecte la loi française et se comporte en hôte correct. L’étranger se doit d’adhérer à un système de normes et d’usages en vigueur dans le pays d’accueil. Le regroupement social et familial a pour but de faciliter l’insertion des étrangers qui travaillent régulièrement sur le territoire français. Cette mesure devrait être une incitation puissante à l’intégration. On estime à un peu moins de 325 000 personnes pour 167 671 familles qui, entre 1972 et 1974, bénéficièrent de cette mesure. (Peu de familles ont des enfants)

 

En rétorsion, dans sa Charte Nationale de 1976 (Titre V. 5-5) l’Algérie inscrit le retour d’exil de ses enfants d’une manière définitive. Les Cadres de l’Amicale des Algériens d’Europe dans sa VIIème Conférence, insiste sur la planification de leur réinsertion. Pour ceux qui reviennent définitivement au Pays, ils sont prioritaires sur l’octroi d’un terrain pour bâtir leur maison. En 1977, le Secrétariat d’État chargé des Immigrés craint un afflux incontrôlable d’étrangers et de ne pouvoir apporter de solutions humaines à leur insertion à cause d’une trop grande hétérogénéité sociale et culturelle. Il préconise la stabilisation du flux migratoire par, par exemple, l’institution d’une aide au retour avec un dispositif de formation qualifiante professionnelle. Les maghrébins ressentent cette incitation comme un affront. En 1984, néanmoins cette aide fut reconduite avec une prime au départ atteignant 90 à 120 000 FRF. Cela n’empêcha pas la population maghrébine d’augmenter. Début 1982, l’INSEE comptabilisait 1 454 634 étrangers d’origine maghrébine, non comptabilisés ceux ayant la nationalité française, notamment par le Droit au sol, ni, bien sûr, les clandestins.

 

En France, bien que la vie de l’émigré soit dure, il gagne mieux sa vie que dans son pays. Il vit aussi dans un État de droit, donc en sécurité. Comme tout travailleur, il bénéficie des allocations familiales, d’une médecine performante, d’une École laïque gratuite réputée la meilleure du monde, de la Sécurité Sociale.

 

*  Depuis la loi du 28 octobre 1982, l’immigré peut -être éligible au Comité d’Entreprise ou comme représentant syndicale dans son entreprise sans obligation de comprendre le français.

 

*  le 1er décembre 1982, ils peuvent être électeurs et éligibles au Conseil d’Administration de la Sécurité Sociale, même s’ils ignorent la langue française, enfin électeur au conseil des prud’hommes

 

La France, fidèle au principe d’égalité des chances, met à la disposition de tous, étrangers et nationaux, les mêmes chances de réussites.

 

La France, terre du Roumi, de l’Infidèle est quand même une terre où la qualité de vie n’a rien de comparable avec la terre des Ancêtres berbères. Ainsi, petit à petit, le Père voit grandir sa famille. Ses enfants s’instruisent, alors que lui est et reste analphabète. La Société lui garantit sa retraite et la pratique de son Culte.

 

Traditionnellement, le musulman en exil, comme dans beaucoup de peuple, rapatrie le corps du défunt lorsque celui-ci décédé en terre étrangère. Le corps doit être enseveli en terre Sainte, dans le village de naissance, au milieu des siens.

 

Nombre de "primo-arrivants"[1], puis d’autres meurent et sont mis en terre française. Se faisant, ils deviennent de nouvelles racines, de nouvelles boutures, pour les générations futures

 

Comment retourner au Pays, oui mais comment ?

 

*  revenir la tête haute lorsqu’un des siens a trébuché et est allé en prison : le reproche des Anciens est insupportable :

« tu n’as pas su protéger les tiens de la débauche des Infidèles, tu n’as pas su lui apprendre les principes de l’Islam ?

 

*  oui mais comment se présenter devant la communauté restée au Pays lorsque ayant acquis la nationalité de l’ancien occupant, Infidèle de surcroît ? La tribu le nomme « intruzin », c’est à dire apostat, il est devenu un renégat !

 

*  oui mais comment aller mourir au Pays auprès de ceux qu’ils ont trahis ?

Pour ceux-là, du fait qu’ils n’envoient plus d’argent à la communauté, ils sont devenus « mtorne », c’est à dire retournés, ils vivent selon les coutumes françaises. Ils ont perdu la considération de la Tribu. Ils sont devenus des parias. La Tribu les rejette. Ils se sont exclus eux-mêmes.

 

*  oui mais comment aller mourir seul au Pays, loin de ceux qui vous prolongent en France ?

 

*  oui mais comment repartir au Pays lorsque les enfants s’instruisent et veulent rester en France ?

 

*  oui mais comment repartir au Pays lorsque les biens de consommation et la nourriture sont abondants et peu onéreux aux pays des Infidèles ?

 

*  oui mais comment repartir lorsqu’on a goûté à la Liberté et que les droits individuels sont garantis ?

 

*  oui mais comment apprécier son Pays d’origine lorsqu’on a goûté à la démocratie et que les enfants votent ?

 

*  oui mais comment prendre sa retraite au Pays lorsqu’aujourd’hui, la disparité des changes est devenue défavorable au FRF, anéantissant les économies ?

 

Insensiblement, le centre d’intérêt qui, dans les années 60 était le Maghreb, se déplace sur la France :

 

*  les "primo-arrivants" vivaient dans des gourbis, aujourd’hui, ils habitent des appartements qu’ils décorent avec goût, à l’orientale.

 

*  l’exilé s’installe, certains achètent leur appartement marquant ainsi leur nouveau territoire.

 

*  l’immigré investit dans un commerce, dans l’artisanat. Quelques uns de leurs enfants ont accepté une reculturation qui leur a donné des statuts de cadres, de professions libérales. Le décrochage entre les manières de vivre de l’exilé d’hier et le Musulman resté au Pays est si important que maintenant il lui est impossible de se réadapter à la vie de droit oral et de tradition coutumière toujours en usage au sud de la Méditerranée.

 

Quant aux jeunes, particulièrement les filles, ils se refusent à retourner vivre au Pays des parents.

Le décalage est si impressionnant actuellement entre les modes de vie et de pensée des maghrébins vivant de part et d’autre de la Méditerranée que certains jeunes, au retour d’un séjour, ont cette réflexion :

« chaque fois que je vais au bled, j’ai l’impression de vivre cinquante ans en arrière, de reculer »




[1] Primo-arrivant : est celui qui arrive pour la première fois sur le sol Français en vu de s’y établir d’une manière légale

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